Le 18 août, on m’a tiré dessus et on a aussi tiré sur une femme enceinte qui se trouvait à côté de moi. Elle est morte. J’étais bien tranquille avec mes enfants à Tuoch Lual. Nous avons entendu des coups de feu. Nous ne sommes pas partis tout de suite parce que nous croyions qu’ils allaient à Adok [à l’est]. Ils sont passés par une île appelée Tuoch Kuachcaar pour se rendre à un autre endroit appelé Tuoch Duot. Nous restions là à discuter, mais ils ont finalement traversé la dernière voie d’eau qui les séparait de l’île sur laquelle nous étions. Nous avons vu qu’ils 30 et nous avons commencé à courir.
Ils ont formé une rangée qui faisait toute la largeur de l’île. Ils nous ont dit : « Stop ! Arrêtez-vous ! Où allez-vous ? » Mais ils continuaient de tirer. J’ai essayé d’aller dans une autre direction parce que nous étions nombreux à fuir dans la même direction. Je courais encore – j’étais en train de me glisser dans les papyrus – quand j’ai reçu la balle.
Un soldat nous suivait à travers les papyrus. Il tirait et balançait le canon de son arme d’un côté à l’autre en disant aux gens de s’arrêter. C’est lui qui m’a tiré dessus et qui a tué la femme. Il était jeune. Il portait un collier avec des billes rouges et noires. Il ne portait pas d’uniforme. Il portait un vêtement de sport noir avec l’inscription « Mayom County ».
Lorsqu’il m’a trouvé, il a pointé son arme vers moi et m’a demandé qui j’étais. J’ai répondu : « Quelqu’un qui vient de se faire tirer ! » Il a dit à la femme qui se trouvait à côté de moi de se lever. Je lui ai dit qu’elle avait reçu une balle et qu’elle était morte. Il m’a dit : « Par terre ! » et il a attrapé une autre femme. Mais lorsqu’il a vu que la première avait été tuée, il a laissé l’autre partir.
Je ne pouvais plus bouger ma jambe. Je saignais. Ma cuisse était douloureuse, même dans l’eau. J’ai attaché ma veste autour de ma jambe pour arrêter le saignement.
Des hommes plus âgés sont venus à ma recherche parce qu’ils avaient entendu dire qu’on m’avait tiré dessus. Ils appelaient mon nom et m’ont ramené là où nous restions. Les gens de l’île m’ont dit que ma fille avait été capturée. Elle a 14 ans. Je leur ai demandé s’ils savaient où était ma femme et ils m’ont dit qu’elle était partie à la recherche de notre fille. Quand ma femme est finalement revenue, elle avait été battue. J’ai entendu dire que ma fille s’était échappée deux jours plus tard et qu’elle avait réussi à se rendre à la mission des Nations Unies à Bentiu [dans le nord de l’État d’Unity]. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé pendant ces deux jours. Le lendemain, je suis allé à Kok [une autre île] pour être soigné. Puis, je suis venu à Nyal.
J’avais 10 tukuls [maisons] à Leer et elles ont toutes été incendiées. On m’a pris mes 63 vaches et mes 6 chèvres. Même la pharmacie que j’avais à Leer a été détruite.
La paix a-t-elle été faite ? L’accord de paix a été signé par Riek Machar le 17 août et on m’a tiré dessus le lendemain. Salva Kiir l’a signé [le 26 août, soit] le jour où je suis arrivé ici. Je pense que ceux qui vont à Addis Abeba pour [négocier] la paix ne prennent pas ces choses au sérieux. Vous, les Occidentaux, vous devriez vous intéresser davantage à ce qui se passe au Soudan du Sud. Vous pouvez placer la paix au premier rang des priorités.
Par Jason Patinkin