Esclave pendant quarante ans : Des femmes commencent une nouvelle vie en Mauritanie 

En Mauritanie, l’esclavage a été officiellement aboli en 1981 et érigé en crime en 2007. Les membres de l’ethnie haratine, qui ont la peau foncée et étaient traditionnellement réduits en esclavage par les Maures à la peau plus claire, continuent cependant d’être victimes d’actes de discrimination, de violence et d’injustice sociale.  

On estime encore à 155 000 le nombre d’esclaves des temps modernes en Mauritanie. La majorité d’entre eux sont des Haratines. Environ 85 pour cent de cette ethnie minoritaire sont analphabètes, car ils ne peuvent pas aller à l’école, et 90 pour cent ne reçoivent aucun salaire pour les labeurs manuels qu’ils effectuent. Les femmes haratines sont particulièrement maltraitées. En 2014, les victimes de plus de 80 pour cent des affaires de viol étaient des femmes haratines. Grâce à l’aide d’associations locales de défenses des droits de l’homme et à leur volonté à toute épreuve, certaines femmes haratines ont surmonté d’indicibles souffrances et tentent maintenant de se construire une nouvelle vie. Voici cinq témoignages :

 

Oumoul Khayri, 52 ans

 

Depuis son enfance, Oumoul Khayri a survécu aux aspects les plus sombres de l’esclavage : elle a été violette, aliénée, déshumanisée, ses salaires ont été volés et elle a été presque battue à mort. Elle a vu, impuissante, ses filles se faire violer et a pleuré la mort de sa petite-fille qui est décédée après avoir été enchaînée dans une caisse. 

Elle est traumatisée, même si elle fait partie des plus chanceuses : elle a été libérée en 2010, quand le frère de son maître a conseillé à ce dernier de « s’en débarrasser ». 

« J’ai survécu à tout ça, mais je fais toujours des cauchemars », a-t-elle dit à IRIN.

Malgré son passé, Oumoul Khayari considère sa libération comme une nouvelle chance de mener une vie « normale » :

« Chaque jour, je vais à mon travail à Arafat, où je passe le balai et fais la vaisselle, puis je rentre chez moi et je me détends avec mes enfants, sans plus personne pour m’insulter ou me donner des ordres […] Je fais du thé quand j’en ai envie et mes enfants vont maintenant à l’école. Ils ne se font plus frapper. »
— Oumal Khayari

Zeynabou, 42 ans

 « Le père de mes filles nous a quittées, alors c’est moi qui me suis battue pour prendre soin d’elles », a dit Zeynabou à IRIN, en arrachant des mauvaises herbes devant une usine de mise en bouteilles de boissons sans alcool à Nouakchott, la capitale de la Mauritanie. 

 

Le taux de divorce chez les femmes haratines est parmi les plus élevés du pays. Il serait de 70 pour cent, selon les estimations de Cheikh Saad Bouh Camara, professeur et sociologue local. 

« À cause de la pauvreté, de l’analphabétisme, de l’urbanisation et d’autres facteurs liés à leur condition sociale fragile, les Haratines sont les plus susceptibles d’être divorcées », a-t-il dit. « Elles se marient presque toujours au sein de leur communauté, souvent contre leur gré ».

Autrefois esclave d’une famille influente appartenant à une tribu de l’est de la Mauritanie, Zeynabou s’est mise à jardiner pour subvenir aux besoins de sa famille.

Elle dit qu’elle espère que son histoire pourra inspirer d’autres femmes haratines :

« Chaque fois que je rencontre une femme haratine, je lui parle de mon expérience et de mes sacrifices […] Si elle a besoin d’aide pour se libérer, je n’hésite pas à la soutenir. Je l’invite à prendre en main sa destinée, malgré les profondes séquelles [de l’esclavage] et de la discrimination. »

Zeynabou dit que souvent, les gens sont « gênés » de voir une femme chef de famille, surtout si elle s’en sort bien, mais qu’elle commence à recevoir des encouragements. Elle cultive et vend maintenant toute une variété de plantes, dont des fleurs exotiques, des herbes aromatiques et des bananiers.

 « Les choses changent », dit-elle. « La liberté consiste à se battre, à prendre ses propres responsabilités et à ne compter que sur soi-même. »

Wehba, 44 ans 

Au marché d’El Mina, à Nouakchott, l’exemple de Wehba montre que le travail peut conduire à l’autonomisation, même pour les femmes haratines, qui ont longtemps été marginalisées. Alors qu’à une époque, Wehba et sa soeur ne possédaient strictement rien, elles ont appris par elles-mêmes à coudre et teindre des voiles. 

« Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de clients », a-t-elle dit fièrement à IRIN en expliquant que la vente lui a permis d’économiser suffisamment pour commencer à construire sa propre maison et pour envoyer ses enfants à l’école. 

« [Ma soeur, mes enfants et moi] vivions dans une cabane en bois », a-t-elle dit à IRIN. « Maintenant, grâce à un microcrédit […] nous avons monté une petite entreprise […] et je peux nourrir, habiller et offrir un logement décent à ma famille. »

Haby, 41 ans 

« Mon premier but dans la vie, c’est d’aider ceux qui sont toujours esclaves », a dit Haby, née esclave et libérée en juillet 2008. « Je sais qu’il y en a encore beaucoup qui ne sont pas libres. Même les militants pour les droits de l’homme ne sont pas complètement libres. Nombre d’entre eux sont en prison […] Mais même cette réalité est dissimulée. »

 Comme beaucoup d’autres, Haby a dit qu’elle vivait dans des « conditions inhumaines ». 

« On me frappait et on me maltraitait. J’ai passé plus de temps avec des animaux qu’avec des humains. » 

Haby a finalement trouvé du réconfort dans la religion et la spiritualité et a appris à ne compter que sur elle-même.

« L’État n’a jamais rien fait pour moi ou pour ma famille », a-t-elle dit en expliquant que les autorités distribuaient souvent de la nourriture et de l’eau dans son quartier, mais qu’elles ne s’arrêtaient jamais chez elle.

« Des pattes de poulet, du poisson, du riz et même de l’argent. Mais personnellement je n’en ai jamais bénéficié. Leurs camions-citernes passent sans nous voir, nous, les anciens esclaves. Nous sommes nombreux dans ce quartier, mais ils [ne nous voient pas]. »

Aichana, 50 ans 

« Un jour, j’ai eu un problème avec la femme de mon maître », a dit Aichana, esclave depuis sa naissance et jusqu’au début des années 1980 dans une famille de commerçants du nord de la Mauritanie. « Elle m’a refusé une visite de mon mari, disant qu’il était sale et sauvage et ne pouvait nous voir, ni moi, ni mes enfants. Puis elle a échafaudé un plan diabolique contre moi. »

Aichana a dit que tandis que son maître était en voyage d’affaires, deux policiers étaient venus l’arrêter alors qu’elle travaillait en cuisine. 

« Au début, j’ai refusé de les suivre », a-t-elle dit. « Mais le lendemain, ils sont revenus avec un officier de police judiciaire […] et sur les conseils d’amis qui m’ont dit de ne pas défier l’autorité publique, je les ai suivis […] en laissant mes enfants avec la femme de mon maître. Je regrette encore mon ignorance […] mais j’étais analphabète et je ne comprenais pas les procédures policières. »

Elle a été séparée de ses enfants puis renvoyée dans son village natal, où la vie n’est pas facile.

« Actuellement, je n’ai pas d’emploi. Ma santé est trop fragile à cause de ce que j’ai vécu […] J’ai des problèmes musculaires au dos. »

Malgré toutes les épreuves qu’elle a traversées, Aichana continue de lutter pour une vie meilleure.

« Je ne peux pas arrêter de me battre », a-t-elle dit. « Tant que je vivrais, je continuerai à me battre. Ma libération n’est pas la chose la plus importante. Ce n’est rien sachant qu’il existe encore des esclaves. Je n’abandonnerai pas mes neveux et nièces. Je défendrai leurs droits et me battrai pour eux jusqu’à mon dernier souffle. »