Entourée de multiples canalisations d’eau et câbles à haute tension, la boîte à fusibles principale, qui répartit l’électricité du réseau au centre de Bourj el-Barajneh, à Beyrouth, est localement connue sous le nom de « mur de la mort ». Rouillée et exposée, la boîte se trouve à hauteur d’homme dans l’une des rues les plus fréquentées de ce camp pour réfugiés palestiniens surpeuplé. En quelques années, plusieurs personnes sont mortes en essayant de la bricoler, mais rien n’a encore été fait pour en améliorer la sécurité.
C’est le symbole parfait des difficultés rencontrées par les réfugiés palestiniens, qui tentent de mener une vie humble mais digne dans ce chaos d’un kilomètre carré où s’entassent 18 000 êtres humains.
Selon les responsables du camp, 48 personnes sont mortes électrocutées à Bourj el-Barajneh ces cinq dernières années. La majorité de ces accidents auraient pu être évités, mais le manque de fonds, l’intransigeance politique des Libanais et les querelles au sein de la communauté palestinienne ont ruiné toute chance de mettre en oeuvre les réformes pourtant simples qui auraient pu sauver des dizaines de vies.
Ahmed al-Qaed, 54 ans, était sourd et désespéré. Il était ouvrier du bâtiment et devait se contenter de son maigre salaire de 26 dollars par semaines pour subvenir aux besoins de sa femme Amal et de leurs trois enfants. À Bourj el-Barajneh, tout chantier de construction est extrêmement dangereux.
En octobre dernier, Ahmed était rentré déjeuner chez lui avec sa femme. Peu après son retour au travail, on a cogné vivement à la porte de sa maison. Ahmed avait été électrocuté par un câble qui pendait à hauteur de sa tête. Il a été emmené à l’hôpital et est mort quelques heures plus tard. « C’était un homme modeste, mais il était bon avec nous », a commenté avec solennité sa femme Amal, âgée de 34 ans.
Bourj el-Barajneh a été mis sur pied en 1948, quand la création de l’État d’Israël a forcé des centaines de milliers de Palestiniens à fuir, dont 100 000 se sont installés au Liban. Aujourd’hui, le pays compte au moins 400 000 Palestiniens. Environ la moitié d’entre eux vivent dans 12 camps de réfugiés officiels, dont celui de Bourj el-Barajneh.
À la suite des accords du Caire de 1969, les camps ont obtenu un statut semi-autonome et ont été placés sous l’autorité de comités populaires. Ces organisations étaient chargées de s’occuper des fonctions municipales comme l’approvisionnement des habitants en eau et en électricité.
Mais la présence des Palestiniens et devenue de plus en plus impopulaire, notamment en raison de l’implication de l’Organisation de libération de la Palestine dans la guerre civile de 1975-1990 au Liban, et le gouvernement a rendu leur présence plus difficile.
En 1987, le gouvernement a annulé unilatéralement les accords du Caire sans le remplacer par un nouveau cadre juridique. Les comités populaires sont restés intacts, mais leurs pouvoirs sont devenus moins clairs et ont commencé à se chevaucher avec ceux de l’État libanais.
En 2010, de nouvelles restrictions juridiques ont été mises en place pour interdire l’introduction de matériaux de construction dans le camp de Bourj el-Barajneh, entrainant des retards qui ont paralysé le secteur.
Pour introduire les matériaux nécessaires pour résoudre les problèmes relatifs au réseau d’électricité, les comités populaires palestiniens doivent toujours demander une autorisation. Or le gouvernement libanais est hostile à l’amélioration des infrastructures du camp, car il craint d’inciter les réfugiés à s’installer de manière permanente.
Selon Darkazally Zizette, porte-parole de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), des actions ont été menées pour tenter de résoudre ce problème, mais la situation n’a fondamentalement pas changé.
Le gouvernement libanais menace en outre de démolir tout projet de construction de grande ampleur mené sans son assentiment. Les Palestiniens n’ont donc pas le choix et doivent s’accommoder des dangers mortels liés à l’électricité et du manque de services publics. Les rues ne sont par exemple pas éclairées et les coupures de courant sont fréquentes.
Même lorsque des réparations mineures sont permises, l’UNRWA peine à coordonner les projets en raison des conflits internes entre factions palestiniennes rivales qui se disputent le pouvoir politique et le contrôle des camps.
Les projets visant à résoudre les risques liés à l’électricité sont souvent mal coordonnés et incohérents. Les différents programmes conçus par une multitude d’organisations non gouvernementales (ONG) sont source de querelles entre les différents groupes au sein des camps.
Abu Bader, président du comité populaire de Bourj el-Barajneh, a admis qu’il fallait redoubler d’efforts pour réconcilier les intérêts des groupes palestiniens rivaux. Il a cependant soutenu que le gouvernement libanais était le principal responsable de leurs mauvaises conditions de vie.
« Nous voulons vivre dignement », a dit Abu Bader à IRIN, en sirotant un thé dans son bureau. « Mais le gouvernement ne veut pas des Palestiniens sur son territoire. »
Le ministère des Affaires sociales et de l’Intérieur libanais n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet.
Les camps du Liban ayant été construits à la hâte pour servir d’hébergement temporaire en 1948, aucune infrastructure durable n’a jamais été mise en place. Or la crise palestinienne est actuellement celle qui a entraîné le plus grand afflux de réfugiés sur la plus longue durée. La surpopulation incontrôlée ne fait qu’aggraver les dangers.
À cela est venu s’ajouter le déplacement de plus de 50 000 Palestiniens de la Syrie vers le Liban. Le manque de fonds de l’UNRWA est si criant qu’il interrompra en juillet son aide à l’hébergement pour les Palestiniens de Syrie au Liban. Quant à l’État, il se montre toujours réticent à permettre aux réfugiés d’améliorer les camps.
Craignant d’encourager l’assimilation des Palestiniens et de troubler l’équilibre fragile entre les différentes communautés musulmanes et chrétiennes du pays, le gouvernement maintient qu’améliorer la vie dans les camps menacerait le droit des Palestiniens à rentrer chez eux.
Assise sur une chaise derrière ses trois enfants, Amal — qui vient elle-même de Syrie — tient la carte d’identité de son mari dans sa main. En la plaçant sur la table à côté de la sienne, elle se demande comment elle pourrait subvenir aux besoins de ses enfants sans lui.
« Je ne peux pas retourner en Syrie », dit-elle d’un air abattu. « J’espère trouver quelqu’un pour nous aider ici. »