Texte de Mathieu Martiniere et photographies d’Alberto Campi / WeReport
Sous une tente, derrière la briqueterie abandonnée de Subotica, dernière ville Serbe avant la frontière hongroise, des Afghans et des Irakiens s’abritent de la pluie et du froid. Subotica est la dernière étape d’un itinéraire de plus en plus emprunté par les migrants et les demandeurs d’asile sans papiers pour rejoindre l’Union européenne (UE). La briqueterie est un lieu dans lequel ils peuvent se reposer en attendant le bon moment pour traverser la frontière.
« Nous voulions passer la nuit dernière, mais il pleuvait et ma mère était fatiguée », a dit Amal, un Afghan de 19 ans.
Sa famille et lui sont arrivés après un périple de 5 000 kilomètres à travers le Pakistan, l’Iran, la Turquie et la Bulgarie. Leurs biens tiennent dans quelques sacs en plastique.
À quelques centaines de mètres de là, une clinique mobile de Médecins Sans Frontières (MSF) dispense des soins à un autre groupe d’Afghans.
En 2014, le nombre de migrants empruntant l’itinéraire ouest des Balkans pour rejoindre l’Union européenne (UE) a atteint un niveau sans précédent. Selon l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex), la frontière serbo-hongroise est devenue le troisième passage le plus populaire parmi les migrants clandestins et les demandeurs d’asile pour rejoindre l’UE, après la Grèce et l’Italie.
Chaque jour, des centaines de Syriens, d’Afghans et même de Somaliens arrivent à Belgrade, la capitale de l’ex-Yougoslavie, avant de continuer plus au nord jusqu’à Subotica.
« Les Balkans se sont toujours trouvés sur un itinéraire de migration, au croisement de plusieurs civilisations », a dit Stéphane Moissaing, coordinateur de MSF en Serbie. « La nouveauté, c’est le statut de la Serbie dans le processus d’adhésion à l’UE. Ils doivent respecter les règles européennes en matière d’asile et de flux migratoires. »
Selon un rapport publié le 15 avril par Human Rights Watch (HRW), la Serbie a encore beaucoup à faire pour être en conformité avec les lois européennes relatives aux droits des demandeurs d’asile et au traitement des migrants.
Des entretiens menés auprès de 81 demandeurs d’asile et autres migrants entre novembre 2014 et janvier 2015 ont révélé que nombre d’entre eux avaient été victimes de mauvais traitements, d’extorsion et de renvoi sans formalités vers la Macédoine par la police serbe.
Les cas d’abus étaient particulièrement communs à Subotica et dans les environs, où des migrants ont signalé avoir été arrêtés par des agents de police et obligés de leur donner leur argent et leurs téléphones portables sous menace de violence ou d’expulsion.
Sous la pression de l’UE, le gouvernement serbe a commencé à reconnaître les réfugiés en 2008, mais son système d’asile reste embryonnaire. En 2014, sur 16 500 demandes d’asiles, il n’en a accordé que quatre. Dans les premiers mois de 2015, 5 000 nouvelles demandes ont été enregistrées. Avec seulement 70 employés et pas de traducteur, de travailleur social ni d’avocat, le Commissariat pour les réfugiés en Serbie, chargé par le gouvernement de traiter les demandes d’asile, a du mal à faire face à la rapide augmentation du nombre de demandes.
La capacité du pays à offrir de la nourriture et des abris aux demandeurs d’asiles et autres migrants en transit est également limitée. Dans la briqueterie de Subotica, plusieurs Afghans ont signalé qu’ils dormaient dans le froid, à même le sol dur de l’usine, depuis une semaine.
La Serbie a appris ce qu’était un « réfugié » lors de la guerre qui a dévasté les Balkans dans les années 1990. Au centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Krnjaca, en banlieue de Belgrade, les Syriens, les Afghans et les Somaliens côtoient les Serbes déplacés de Croatie et de Bosnie arrivés 20 ans plus tôt.
Le pays compte actuellement cinq centres d’accueil pour demandeurs d’asile, qui peuvent héberger 780 personnes en tout. D’autres devraient ouvrir dans les prochains mois, mais avec la hausse rapide du nombre de migrants, les capacités sont déjà utilisées à leur maximum.
Lors de la visite d’IRIN dans un centre de Bogovadja, à une heure de Belgrade, une trentaine de migrants africains dormaient dehors dans le froid. Assis autour d’un feu, sur des couvertures sales, ils ont exprimé leur frustration.
Le problème est en partie dû aux procédures trop bureaucratiques exigées pour obtenir une place dans un centre d’accueil.
« Il faut faire une demande à la police lorsque l’on a l’intention de demander l’asile », a dit M. Moissaing, ce qui prend souvent au moins deux jours.
Selon le rapport de HRW, la police refuse parfois d’enregistrer les demandes d’asile. Les personnes concernées n’ont alors accès à aucune aide alimentaire ni à aucun centre d’accueil et encore moins à l’asile. Les chercheurs ont également découvert que de nombreux migrants vivaient en dehors des centres, dont des familles avec des enfants en bas âge et des mineurs non accompagnés.
Avec un taux de chômage de près de 22 pour cent, la Serbie offre peu d’opportunités pour les demandeurs d’asile et autres migrants qui finiront bien par avoir besoin de gagner leur vie. La plupart considèrent ce pays comme une étape à court terme avant leur destination finale en Europe du Nord. D’après le ministère de l’Intérieur, la durée moyenne de séjour dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile n’est que de six jours et demi. Le permis de séjour temporaire de trois jours délivré par la police était jusqu’à présent tout juste suffisant pour traverser les plaines et les marais qui séparent la Serbie de la Hongrie.
Depuis le début de l’année cependant, sous la pression de l’UE, les contrôles de police à la frontière hongroise ont été renforcés. Début février, une opération policière conjointe entre l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie et la Serbie a été lancée.
Lors d’une visite du côté hongrois de la frontière un matin à l’aube, IRIN a observé de nombreux véhicules de police, dont certains transportaient des migrants récemment interceptés. Le règlement de Dublin adopté par l’UE stipule que les demandeurs d’asile peuvent être renvoyés dans le premier pays dans lequel ils ont été enregistrés (et où leurs empreintes digitales ont été prises), mais la plupart des migrants ne veulent pas rester en Hongrie.
Plutôt que de faire une demande d’asile en Hongrie et de risquer d’y être renvoyés, la plupart préfèrent être renvoyés en Serbie, d’où ils peuvent tenter à nouveau de traverser la frontière sans se faire repérer.
« Nous recueillons de plus en plus de témoignages de migrants qui reviennent à Belgrade », a remarqué Rados Djurovic, directeur du Centre de protection des demandeurs d’asile (CZA), l’une des rares organisations qui aident les demandeurs d’asile en Serbie.
On voit de plus en plus de migrants dans la capitale. Dans un parc face à la gare routière, des dizaines d’entre eux attendent des papiers, des passeurs, un bus ou un taxi. Avec le renforcement des contrôles à la frontière serbo-hongroise, certains n’iront cependant peut-être pas plus loin.
Vers minuit, dans un hôtel du centre de Belgrade, Hazem et Saad, deux jeunes Syriens, discutent de leur deuxième tentative de passage en Hongrie avec trois passeurs serbes.
« Pour aller jusqu’en Autriche, ça coûte 1 500 euros. La dernière fois, nous nous sommes fait attraper en Hongrie et la police nous a donné deux options : prendre nos empreintes digitales ou nous renvoyer en Serbie. Nous avons choisi la deuxième », a relaté Hazem, qui était étudiant en journalisme à Damas.
*Les noms ont été changés.
Ce photoreportage fait partie d’une série retraçant l’itinéraire de l’ouest des Balkans vers l’Union européenne, souvent emprunté par les demandeurs d’asile et autres migrants sans papiers. Le premier volet de cette série portait sur le traitement des demandeurs d’asile à la frontière turco-bulgare (lire ici).