Par Almigdad Mojalli
A l'amorce d'une troisième semaine de raids aériens sur le Yémen, et alors que la guerre civile fait toujours rage, un nombre croissant de civils se retrouvent pris entre deux feux. Les Yéménites ordinaires, depuis longtemps parmi les habitants les plus pauvres du Moyen-Orient, subissent de plus en plus les raids aériens menés par les Saoudiens et les représailles des rebelles houthistes.
Il y a deux semaines, une coalition de dix pays emmenée par l'Arabie saoudite a lancé une campagne de raids aériens sur le Yémen afin de chasser les rebelles houthistes qui se sont emparés de la capitale, Sanaa, en septembre dernier. Les raids aériens - qui ont soulevé des questions quant au respect du droit international - ont déjà fait de nombreuses victimes parmi les civils.
Dans le gouvernorat d'Ibb, au centre du pays, une dizaine de camions-citernes et deux stations-services ont été touchés par les frappes aériennes, formant d'énormes boules de feu. Les Saoudiens ont déclaré qu'ils visaient des personnes qui avaient pris les armes pour soutenir les Houthis, mais il est apparu clairement aux journalistes d'IRIN qui se sont rendus sur place que des civils avaient été tués.
Mohammed Rezq a dit qu'un camion-citerne avait été détruit par une frappe aérienne tombée sur sa ville, à proximité d'un poste de contrôle sécurité, à 02h30.
« Nous dormions, quand soudain nous avons entendu une très forte explosion qui nous a réveillés.
« Nous avons entendu des hommes et des femmes appeler à l'aide. Nous sommes vite allés leur porter secours », a dit M. Rezq, avant d'ajouter que les 13 personnes tuées par la frappe aérienne étaient des civils.
« J'ai vu l'un de mes voisins, Saleh al-Jehafi, qui est décédé aujourd'hui à cause de ses brûlures, jeter sa fille de 12 ans par la fenêtre pour la sauver des flammes ».
Il est apparu que le fils du voisin, Abdullah Saleh al-Jehafi (l'étudiant de 16 ans sur la photo ci-contre), dormait près de ses frères lorsque leur maison s'est embrasée.
« Notre maison était la plus proche du poste de contrôle sécurité et elle était en flammes », a dit à IRIN l'oncle d'Abdullah.
« Mon frère essayait de porter secours à sa famille, mais ils sont tous morts, à l'exception d'Abdullah et de sa petite sœur ».
Une frappe aérienne sur un autre véhicule stationné dans un quartier résidentiel a tué 18 civils et les trois soldats qu'elle visait, d'après les équipes de secours. Les flammes de l'explosion se sont propagées sur plusieurs centaines de mètres et ont détruit des logements, des commerces et des voitures.
Abdu Ahmed, 58 ans, vendait du matériel informatique ; ses boutiques ont été détruites par l'explosion. Il dit qu'il a perdu pour 25 000 dollars de marchandises. « Regardez ! Voilà les fusils et les armes nucléaires que l'Arabie saoudite voulait détruire – de la peinture, des tuyaux en plastique et en métal ! J'ai perdu 25 000 dollars, mais qui va m'indemniser ? ».
Malgré la nécessité de trouver un compromis, les deux camps ont durci leur discours au cours des derniers jours. Jeudi, le parti Islah - opposé aux Houthis - a salué l'Arabie saoudite pour son action. « Nous espérons que cette intervention permettra de remettre [le pays] sur le droit chemin », a-t-il déclaré.
Vendredi, une grande manifestation pro-Houthis a été organisée dans le centre de Sanaa. Le célèbre prédicateur Sharaf al-Qalesi a appelé les Yéménites à poursuivre le combat en Arabie saoudite ; il a promis un déferlement de violence et a exhorté les tribus pro-Houthis à se battre pour « la victoire » et « le sang ».
La foule était furieuse et vindicative.
« Je me demande pourquoi l'Arabie saoudite et ses alliés n'ont pas créé une force armée unifiée pour l'envoyer en Israël, qui occupe un pays arabe et musulman comme la Palestine ? », a dit Mohamed Naser Salah, 48 ans.
Les familles yéménites ordinaires sont dans une situation désespérée. A Sanaa, la capitale, les hommes font la queue jusqu'au coin de la rue pour acheter du pain et du blé. La majorité des stations-services n'ont plus de carburant à vendre depuis un moment. Dans un pays où 90 pour cent des céréales sont importées, les craintes de pénuries alimentaires sont de plus en plus fortes.
« La violence est apparue, alors que le pays connaît une catastrophe humanitaire et que la population est plongée dans la pauvreté depuis des décennies », a dit Priya Jacob, directrice pays par intérim de Save the Children, avant d'ajouter que plus de 60 pour cent de la population yéménite a besoin d'aide humanitaire.
« Huit cent cinquante milles enfants souffrent de malnutrition aiguë, avec un taux choquant de 41 pour cent de retard de croissance chez les enfants du Yémen, le pays arabe le plus pauvre », a ajouté Mme Jacob.
Les agences d'aide humanitaire sollicitent un accès, mais elles sont à la merci d'une situation sécuritaire précaire.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a dit à IRIN qu'il espérait l'arrivée d'un avion transportant 48 tonnes de fournitures médicales mardi matin.
« Nous espérons que les fournitures médicales seront livrées demain. Nous réglons encore les détails logistiques concernant le déplacement de l'avion-cargo et nous espérons que tout sera prêt aussi tôt que possible, demain ou après-demain, mais je ne peux pas vous donner de date exacte », a dit Marie-Claire Feghali, la porte-parole du CICR au Yémen.
Deux frères, bénévoles à la Société du Croissant-Rouge du Yémen, ont été tués par des hommes armés non identifiés dans la ville portuaire d'Aden en fin de semaine dernière, quelques jours seulement après la survenue d'un événement similaire dans une autre région du pays.
« Ces deux frères ont été abattus pendant qu'ils évacuaient les blessés. Cela montre combien il est difficile d'intervenir dans une zone de conflit où les combats sont assez intenses », a dit Mme Feghali.
Les personnes qui en ont les moyens quittent les grandes villes pour s'installer dans les zones résidentielles. Alors que les espoirs s'amenuisent de voir la crise être bientôt résolue, les Yéménites ne peuvent pas s'attendre à autre chose que de nouvelles souffrances.