COP 21 : Sommet de Paris sur le climat - La migration est-elle à l’ordre du jour ?

La crise migratoire qui préoccupe l’Europe depuis six mois a révélé à quel point l’un des plus riches continents du monde n’était pas prêt à faire face aux conséquences du changement climatique, qui privera des populations de leurs moyens de subsistance, multipliera les catastrophes météorologiques et aggravera de nombreux problèmes socio-économiques sources de conflits.

En 2014 seulement, les aléas liés à des phénomènes météorologiques ont déplacé 17,5 millions de personnes, selon le Centre de surveillance des déplacements internes. Les sécheresses, les inondations et la hausse du niveau de la mer ont sans doute incité plusieurs autres millions de personnes à migrer, que ce soit à l’intérieur de leur propre pays ou au-delà des frontières.

Les chercheurs et les militants pour la justice climatique espèrent que tout accord éventuellement adopté au sommet de Paris au cours des deux prochaines semaines reconnaîtra non seulement le changement climatique comme un facteur essentiel de migration, mais précisera en outre les mesures à prendre pour s’assurer que les futurs déplacements de populations soient planifiés et correctement gérés.

La dernière mouture du projet d’accord qui aura servi de point de départ pour les pourparlers de Paris fait référence, dans son préambule, aux migrations en tant que conséquence du changement climatique. Selon Dina Ionesco, qui dirige la Division migrations, environnement et changement climatique à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Genève, cela constitue un « grand pas en avant ».

« Personne ne parlait vraiment de cela il y a cinq ans. C’était [un sujet] très sensible, » a-t-elle dit à IRIN.

LE PREMIER PAS SIGNIFICATIF vers la reconnaissance des impacts du changement climatique sur la mobilité humaine a été franchi en 2010 avec l’adoption du Cadre de Cancún pour l’adaptation, qui établissait un processus permettant aux pays les moins développés de mettre au point des plans d’adaptation nationaux et de demander des fonds pour mettre en oeuvre des mesures visant à réduire la vulnérabilité des populations et à renforcer leur résilience.

L’état du débat public sur la migration est à l’heure actuelle toujours très tendu dans de nombreux pays. Cela pourrait empêcher les gouvernements de mener des actions significatives.
— François Gemenne, chercheur en science politique – Institut d’études politiques de Paris

Bien que de nombreux pays, dont Haïti, le Kenya, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Viet Nam, aient depuis fait le lien entre les migrations et le changement climatique dans leur plan d’action national, la majorité considère les migrations comme une conséquence négative à éviter à tout prix. Selon les experts, il ne faut justement pas voir les choses de cette façon.

« De nombreux gouvernements considèrent la migration comme un problème et [pensent] que la priorité devrait être de maintenir les populations où elles se trouvent, mais compte tenu du changement climatique, ce sera contre-productif », a commenté François Gemenne, chercheur en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris. « Ils doivent se faire à l’idée que les populations seront mobiles et, au lieu d’essayer de résister aux migrations, nous devons aider les gens et les communautés à en tirer parti. »

M. Gemenne craint que la référence aux migrations dans le projet d’accord de la COP 21 ne survive pas au processus de négociation de Paris. « L’état du débat public sur la migration est à l’heure actuelle toujours très tendu dans de nombreux pays. Cela pourrait empêcher les gouvernements de mener des actions significatives », a-t-il dit à IRIN.

Le projet d’accord fait également référence à un dispositif de coordination des déplacements liés au changement climatique qui apporterait de l’aide et des conseils aux pays dont des habitants devraient se déplacer à cause du changement climatique. Le document ne précise pas ce que ce dispositif ferait exactement, mais selon Koko Warner, éminent chercheur spécialisé dans le changement climatique à l’Institut pour l’environnement et la sécurité humaine de l’Université des Nations Unies, « le fait que le dispositif soit mentionné dans le texte est un signe positif, il signifie aux parties que les déplacements humains feront partie de la gestion des risques liés au changement climatique. »

QUELS QUE SOIENT LES POINTS MENTIONNÉS OU NON dans l’accord final adopté à Paris, les acteurs du secteur ont déjà de quoi être optimistes. En octobre, des représentants de 110 États se sont réunis à Genève pour soutenir un agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans un contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique. 

Il s’agissait de la dernière étape d’un processus de consultations régionales de trois ans mené par l’initiative Nansen, un projet financé par la Suisse et la Norvège pour bâtir un consensus entre les États sur la meilleure manière de protéger les personnes déplacées par le changement climatique et par les catastrophes naturelles. Plutôt que d’essayer de persuader les pays de s’engager dans un accord contraignant à l’échelle internationale qui accorderait une protection juridique aux déplacés, le projet a dressé une liste des meilleures pratiques et des mesures efficaces déjà mises en oeuvres par des États dans un contexte de catastrophe naturelle et de changement climatique.

Bien qu’un vide juridique demeure, « les États reconnaissent que c’est un problème et une lacune et que nous pouvons adopter plus systématiquement de meilleures pratiques, » a expliqué Atle Solberg, directeur du secrétariat de l’initiative Nansen.

Étant donné l’absence de consensus sur la manière de gérer les migrations, l’adoption de l’agenda de protection par autant d’États est un exploit considérable.

C’est déjà une catastrophe qui touche des millions de personnes dans le monde et nous devons donc trouver la meilleure manière d’y faire face.
— François Gemenne, chercheur en science politique – Institut d’études politiques de Paris

« Les pays ont actuellement tendance à ne pas vouloir être liés par des accords internationaux », a dit Mme Warner. L’initiative Nansen « a accru la volonté de parler des efforts menés et de coopérer et je pense que la prochaine étape — à Paris ou ailleurs — sera de s’orienter davantage vers l’action », a-t-elle ajouté.

« Certains critiques diraient que nous voulons plus et plus vite, mais je pense que Nansen a créé une espace qui n’existait pas avant », a-t-elle dit à IRIN.

À Paris, l’OIM fera pression pour mettre davantage l’accent sur les dimensions positives de la migration et sur l’intégration de politiques migratoires dans les stratégies d’adaptations nationales et régionales.

Mme Ionesco a souligné qu’aucun fonds pour la lutte contre le changement climatique n’avait encore été utilisé pour financer des projets qui pourraient stimuler les bénéfices des migrations.

Les projets pilotes dirigés par l’OIM en partenariat avec d’autres organisations et avec des gouvernements sont principalement financés dans le cadre de l’aide humanitaire ou de l’aide au développement. L’un de ces projets, mené au Burkina Faso, au Sénégal et au Niger, incite les réseaux de migrants et de la diaspora à investir dans des activités dans leur pays d’origine dont le but est d’inverser la dégradation des sols et de s’adapter au changement climatique.

Un autre projet de l’OIM vise à renforcer les capacités des décideurs des pays déjà touchés par le changement climatique, tels que le Bangladesh et la Colombie, pour les aider à intégrer la migration à leurs stratégies d’adaptation.

L’UNE DES PRINCIPALES DIFFICULTÉS dans la gestion des déplacements et des migrations liés au climat est le grand besoin de collaboration entre les différents secteurs et domaines de compétence.

« La migration est rarement un effet direct du changement climatique. Elle est motivée par une série de problèmes qui sont environnementaux, sociaux et économiques. Gérer la migration simplement comme un problème de climat, de développement ou de droits de l’homme à donc peu de chances d’être efficace », a dit l’ancienne présidente irlandaise et militante pour la justice climatique Mary Robinson lors d’une récente allocution au European Institute.

Selon Mme Ionesco, des progrès sont en cours pour sortir du cloisonnement qui sépare traditionnellement le domaine de la migration des autres domaines. Le projet mené au Burkina Faso, au Niger, et au Sénégal, par exemple, fonctionne grâce à un partenariat entre l’OIM, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et l’Agence italienne de coopération pour le développement.

Une autre difficulté identifiée par M. Gemenne est le manque de données disponibles, soit pour déterminer l’ampleur actuelle des déplacements dus au changement climatique, soit pour faire des prévisions concernant les futurs déplacements. « C’est encore un grand défi de la recherche », a-t-il dit. « Dans de nombreux pays, les capacités en matière de statistiques sont insuffisantes. »

Même si l’on n’attend pas du sommet de Paris de trouver une solution miracle, M. Gemenne espère que l’évènement aidera à réaliser que « le changement climatique n’est pas seulement une menace distante dans le temps qu’ils pourront éviter grâce à un accord sur le climat. »

« C’est déjà une catastrophe qui touche des millions de personnes dans le monde et nous devons donc trouver la meilleure manière d’y faire face. »