Une partie des 1,1 million des réfugiés syriens qui vivent au Liban ont du mal à joindre les deux bouts, car ils peinent à trouver du travail et reçoivent peu d’aide. D’après les estimations, 90 pour cent d’entre eux sont endettés et presque tous doivent faire des sacrifices.
Chaque mois, le Programme alimentaire mondial (PAM) distribue des coupons électroniques d’une valeur de 21 dollars à environ 603 000 réfugiés du Liban. Jusqu’à cinq membres d’une même famille peuvent bénéficier de ce versement qui a été réduit de manière temporaire au mois de juillet, en passant de 30 dollars à 13,50 dollars par mois, en raison d’un manque de financement.
D’autres organisations d’aide humanitaire apportent une aide en espèces limitée. L’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) alloue une allocation mensuelle d’un montant de 175 dollars aux 17 561 « réfugiés les plus vulnérables ». Les réfugiés palestiniens de Syrie reçoivent une aide de l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Différents types d’aide sont accordées par d’autres organisations, mais cela reste minime.
Le PAM ne sait pas s’il pourra poursuivre son aide humanitaire au Liban en 2016. Dina al-Kassaby, porte-parole de l’organisation au Liban, a dit à IRIN que « en l’absence de financements prévisibles, le PAM ne sera peut-être pas en mesure de fournir une aide alimentaire régulière aux réfugiés syriens les plus vulnérables au-delà des deux prochains mois ».
Six familles nous racontent comment elles s’en sortent :
Abdul Hamid
Ville d’origine : Idlib
Lieu de résidence au Liban : Ansarieh, district de Tyr
Nombre de membres de la famille : 11
Aides mensuelles : 105 dollars
Revenu familial mensuel : 350 dollars les bons mois
Dépenses : 650 dollars
La famille compte trois hommes, alors nous avons de la chance. Mais je ne peux pas travailler à cause de mes problèmes cardiaques et mon beau-fils...s’est cassé la jambe, donc il ne peut pas travailler. Il n’y a plus qu’une personne pour faire vivre la famille. Mon fils travaille dans la construction pour gagner environ entre 30 dollars et 35 dollars par jour. Mais le travail n’est jamais régulier et il travaille au plus 10 jours par mois. Nous nous attendons à gagner moins d’argent pendant l’hiver, car il n’y a pas beaucoup de constructions. Il n’y a vraiment aucun moyen pour couvrir nos dépenses. Nous n’avons pas d’autres choix que de nous endetter. J’ai une grande famille ; il y a beaucoup de bouches à nourrir. Notre budget alimentaire est de 100 à 150 dollars par mois. Nous devons donc de l’argent à l’épicier. Mon épouse achète des céréales parce qu’elles se conservent et des légumes parce qu’ils sont peu coûteux, et elle dit qu’ils sont bons pour la santé. Elle met des aubergines et des pommes de terre dans les plats qui contiennent de la viande normalement. Cela fait plusieurs années que je n’ai pas mangé de viande. Mais le boucher, qui est un homme bien, nous donne des os gratuitement. Alors, mon épouse fait un grand ragoût avec des tomates et on en a pour au moins quatre jours.
Samira
Ville d’origine : Idlib
Lieu de résidence au Liban : Ansarieh, district de Tyr
Nombre de membres de la famille : 7
Aides mensuelles : $105
Revenu familial mensuel : 250 dollars
Dépenses : 500 dollars
Tout le monde souffre d’hypertension dans la famille et nous avons besoin de médicaments en permanence. Mais les Nations Unies n’en donnent pas, alors j’ai essayé de trouver des organisations capables de nous venir en aide, mais je ne sais pas à qui m’adresser. Je dois 3 000 dollars au pharmacien. C’est un sentiment horrible : le sentiment de devoir de l’argent à quelqu’un pour quelque chose d’aussi important pour votre survie. Ma sœur Akram est handicapée, mais nous n’avons pas les moyens de lui acheter un fauteuil-roulant, alors elle n’a pas d’autres choix que de ramper. En matière d’argent, nous ne prenons pas des décisions difficiles, nous faisons des sacrifices difficiles... Je ne peux pas vous dire si nous avons trouvé un moyen de faire durer l’argent. Nous avons des dettes, comme tout le monde. La vie est tellement chère au Liban. Quand nous sommes arrivés ici, nous avions quelques économies, très peu.
Matar
Ville d’origine : Alep
Lieu de résidence au Liban : Bisserieh, district de Sidon
Nombre de membres de la famille : 5
Aides mensuelles : 105 dollars
Revenu familial mensuel : 250 dollars
Dépenses : 300 dollars
Le tout est de faire durer les choses. Nous achetons beaucoup de légumes et des céréales. Mon épouse prépare un grand plat composé de boulghour et de légumes. C’est délicieux. Nous en mangeons presque tous les jours pendant presque une semaine. Chaque semaine, nous faisons une liste de courses : légumes verts, aubergines, pommes de terre, riz, boulghour, lentilles, zaatar, huile, ail et oignons. Cela nous coûte environ 150 dollars par mois. Nous avons aussi des charges mensuelles d’un montant de 50 dollars. Notre logeur a accepté qu’une organisation d’aide humanitaire subventionne notre loyer cette année, mais l’année prochaine, nous devrons payer 300 dollars par mois et je ne sais pas comment nous allons faire. Vous voyez, je pense tout le temps à l’argent. Je compte les œufs, je pense à combien ils nous coûtent. Je dois réfléchir avant d’acheter un paquet de cigarettes. Dieu merci, aucun membre de la famille n’est malade. Je redoute l’hiver, car la pièce est très froide et, une fois de plus, les radiateurs coûtent très cher. Je ne sais pas. Je ne sais pas comment nous allons faire.
Bayan
Ville d’origine : Homs
Lieu de résidence au Liban : Bisserieh, district de Sidon
Nombre de membres de la famille : 3
Aides mensuelles : 63 dollars
Revenu familial : néant
Dépenses : 200 dollars
Cela fait trois ans que mon mari a disparu en Syrie. Il est parti et il n’est jamais revenu. Alors quand j’ai fui notre domicile, je suis partie avec Abu Shadi, le frère de mon mari, et leur famille. Ils s’occupent de moi et de mes deux jeunes enfants, et prennent en charge toutes nos dépenses. Les hommes de la famille travaillent dans la construction. Et je donne un coup de main quand je peux. Nous achetons principalement des légumes. J’ai trouvé ceux-ci sous un arbre. C’est une plante sauvage que l’on peut cuisiner. Le meilleur, c’est que cela ne coûte rien.
Fawzia
Ville d’origine : Hama
Lieu de résidence au Liban : Bisserieh, district de Sidon
Nombre de membres de la famille : 5
Aides mensuelles : 105 dollars
Revenu familial : 300 dollars
Dépenses : 500 dollars
Je dois acheter des couches pour ma fille de huit ans. Elle est handicapée. Je crois que le médecin a dit que c’était [à cause] d’une méningite. Nous n’avons pas les moyens d’acheter les médicaments ou de payer les traitements qui nous permettraient de la soigner. Elle a des accès de colère et elle ne veut pas me quitter... Quand nous préparons le budget, je dois inclure ses couches. Quinze couches jetables coûtent 20 000 livres libanaises (13 dollars). Avec les charges et la nourriture, [les couches] représentent l’une de nos principales dépenses.
Najwa
Ville d’origine : Yarmouk
Nombre de membres de la famille : 5
Lieu de résidence au Liban : camp de réfugiés de Shatila, banlieue de Beyrouth
Aides mensuelles : 130 dollars
Revenu familial : 500 dollars
Dépenses : 600 dollars
Chaque mois, nous faisons un plan. Le plan est très important. J’ai plus de chance que la majorité des Palestiniens de Syrie qui vivent dans ce camp, je m’en sors mieux, parce que j’ai un travail et je peux répondre aux besoins de mes trois filles. Le premier du mois, je paye 300 dollars de loyer et 35 dollars pour les charges. La moitié de notre argent y passe. Ensuite, je dois verser 200 dollars pour rembourser nos prêts. Vous comprenez, mon mari est en Allemagne. Nous avons demandé à un Libanais de contracter un prêt de 5 000 dollars en notre nom et en attendant d’obtenir une réponse concernant la demande d’asile déposée par mon mari, le Libanais à qui nous avons emprunté vient chercher son argent chaque mois et c’est moi que le paye. Bien que je travaille, j’ai encore besoin de l’aide de l’UNRWA. L’argent qui reste permet d’acheter de la nourriture. Ce serait une catastrophe si ma fille tombait malade. Les soins de santé sont tellement chers dans ce pays. Nous n’achetons jamais de vêtements. La dernière fois que j’ai acheté des vêtements à mes filles, c’était il y a…deux [ans], mais elles ne se plaignent jamais. Mes filles sont formidables. Ce sont les meilleures… Oh et mes cigarettes, je dois acheter des cigarettes.
Texte et photos de Samya Kullab