LE PLUS VIEUX MÉTIER DU MONDE ?

Par Obi Anyadike, à Nairobi

L’humanitaire ne date pas d’hier : la nécessité d’aider les personnes dans le besoin est enracinée dans toutes les grandes religions et tous les peuples semblent également tenir l’altruisme en haute estime.

Même les conférences humanitaires, typiques du système des Nations Unies, ont fait leurs débuts un siècle plus tôt avec la première conférence sanitaire internationale sur le choléra dans les années 1850.

Alors, comme aujourd’hui, l’objectif était de gérer les urgences humanitaires (une série d’épidémies de choléra en Europe et en Amérique du Nord) grâce à la coopération internationale. Et comme avec les crises humanitaires actuelles — dont celle d’Ebola – la vulnérabilité était autant une question d’inégalité que de virulence du bacille véhiculé par l’eau. Autrement dit, les pauvres étaient frappés plus durement, ce qui n’a pas changé jusqu’à l’heure actuelle.

Les racines modernes de l’humanitaire remontent au XIXe siècle et conservent une vision paternaliste des plus vulnérables. Le règlement des conflits a également été un moteur essentiel et le Comité international de la Croix-Rouge et considéré comme la première organisation humanitaire internationale. 

Naissance des Nations Unies

La fin de la Seconde Guerre mondiale est un point fondamental de notre architecture actuelle : le cadre juridique et le devoir moral de défendre la dignité humaine ont été entérinés par la création des Nations Unies. Mais, malgré la noblesse de ses principes fondateurs, « l’action humanitaire a toujours été politique, elle a toujours été mue par les intérêts nationaux comme internationaux », a dit à IRIN Eleanor Davey, maîtresse de conférence en histoire de l’humanitaire à l’université de Manchester.

L’aide alimentaire en est un bon exemple. « La coordination internationale et la réglementation selon un besoin universel ont donné lieu à un système fondé sur la production de surplus et les impératifs de la guerre froide, » a écrit Mme Davey. Les pays en développement producteurs de nourriture allaient être incités à importer du blé américain — une initiative de « Vivres pour la paix » soutenue par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Plus tard, le Programme alimentaire mondial allait naître grâce à une proposition du président américain John F. Kennedy profitant en partie aux agriculteurs américains.

Hégémonie

Dans les pays du nord, on continue de croire que « la gestion occidentale des crises est bien intentionnée, bienvenue et reflète une dominance morale ». Cette hégémonie n’est pas toujours appréciée par le reste du monde, a dit à IRIN Randolph Kent, directeur du projet Humanitarian Futures du King’s College de Londres.

Même si l’on parle maintenant de redevabilité, « le système, composé des principales agences des Nations Unies et de fédérations d’organisations non gouvernementales [ONG] internationales, qui établissent les règles et profitent de la puissance de leurs réseaux qui permettent le fonctionnement de l’aide humanitaire, donne un sentiment d’oligopole confortable », a remarqué Antonio Donini, chercheur au Feinstein International Center de l’université Tufts.

« Cela profite aussi aux bailleurs de fonds qui veulent confier leur argent à des partenaires internationaux fiables tout en se lançant dans de grands discours au sujet de la redevabilité envers les bénéficiaires. Mais le système privilégie toujours une approche descendante, très axée sur l’offre », a-t-il ajouté.

La « guerre contre le terrorisme » a également eu un impact durable sur le système humanitaire.

« Le programme de stabilisation contre-insurrectionelle a cherché avec tant de détermination à récupérer l’humanitaire depuis le 11 septembre que la communauté humanitaire a pris ses distances. Ces tensions ont conduit à un morcellement encore plus important », a dit Ashley Jackson, chercheuse spécialisée dans les conflits et les urgences.

« Les ONG craignent d’être prises à travailler avec un programme militaire ou même d’être associées à l’aspect politique des Nations Unies. Cela a un effet boule de neige : la communauté humanitaire est bien moins cohésive sur le terrain dans des endroits où il faudrait beaucoup plus de dialogue. »

Obstacle à la neutralité

Pour venir en aide aux habitants des zones de conflit, il faut souvent « parler au camp adverse ». Mais la législation antiterroriste américaine et européenne semble interdire (avec une formulation obscure) la négociation de l’accès avec des mouvements comme les Taliban en Afghanistan ou Al-Shabab en Somalie.

« Les organisations se sont un peu défendues, mais pas autant qu’elles auraient pu », a dit Mme Jackson à IRIN. « Elles ont pris leurs distances avec les groupes armés. Elles ont abandonné en pratique l’idée de neutralité, parce qu’elles ont peur de travailler avec les deux camps, parce qu’elles pensent que c’est illégal. »

Leur manque d’impartialité apparent peut augmenter l’insécurité et les obliger à adopter des stratégies de réduction des risques telles que la direction à distance et la « bunkerisation » (fait de vivre dans des complexes fortifiés), qui entrave leur capacité à rendre des comptes aux bénéficiaires qu’elles cherchent à aider.

La Syrie est un cas non des moindres. Des ONG locales compétentes et expérimentées accomplissent une grande partie du travail et prennent la plupart des risques pour leurs partenaires internationaux, mais elles n’ont aucun pouvoir de décision.

« Nous voyons encore et encore des organisations internationales qui ne veulent pas abandonner des contrats qu’elles ne peuvent pas honorer parce qu’elles ne sont pas présentes prendre une grande commission et sous-traiter des organisations locales et c’est terriblement inefficace », a dit Mme Jackson.

Peu d’idées de réforme

« Cette tension entre les priorités politiques de l’Occident et le fonctionnement du système humanitaire n’est pas prête de disparaître », a dit M. Donini. « J’ai l’impression que le système est devenu trop gros pour changer et trop gros pour échouer. »

Bien qu’il approuve le débat relatif à la « localisation » qui a émergé des consultations en vue du Sommet mondial sur l’action humanitaire de l’année prochaine — qui appelle à favoriser davantage les ONG locales — il s’inquiète des questions de droits de l’homme et de protection « pour lesquelles [les organisations] internationales ont plus de chance d’être entendues ».

En 2014, selon le rapport de l’ALNAP sur l’état du système humanitaire en 2015, l’ensemble des dépenses du système humanitaire a dépassé les 25 milliards de dollars. Il employait environ 450 000 humanitaires dans près de 5 000 organisations. 

« La taille idéale du secteur humanitaire, c’est l’histoire de l’œuf et de la poule, » a commenté M. Kent.

« Je pense qu’une réforme est nécessaire, pour susciter l’adhésion des pays du Sud, mais peu d’idées ont été proposées au cours des préparatifs au Sommet mondial sur l’action humanitaire », a remarqué M. Donini. « Il est difficile de savoir à quel point une telle réforme est souhaitée. »

Alors que les Nations Unies fêtent leurs 70 ans, voici une chronologie des évènements humanitaires qui ont particulièrement marqué l’organisation.