Par Anais Renevier, à Paris
Alors que l’Allemagne s’attend à recevoir jusqu’à un million de demandeurs d’asile d’ici la fin 2015, la France se prépare à n’en accueillir que 65 000, soit autant que l’année dernière.
Il y a quelques années seulement, la France faisait pourtant partie des pays d’Europe qui recevaient le plus de demandes d’asile, mais le manque de places d’hébergement et de soutien ainsi que les longs délais de traitement des demandes en ont fait un pays moins attractif pour de nombreux réfugiés.
Mohammad Salah, Soudanais de 28 ans, est arrivé en France il y a un an et demi.
« J’ai déposé ma demande d’asile il y a 13 mois et j’attends toujours la réponse », a-t-il dit à IRIN. « Au début, je logeais dans un hôtel, mais au bout de quatre mois j’avais épuisé toutes mes économies et j’ai commencé à dormir dans la rue et j’ai rejoint d’autres migrants dans des camps. »
Les médias britanniques font une fixation sur les camps qui s’étendent en périphérie de Calais, remplis de migrants qui espèrent traverser la Manche. Mais la capitale française est elle aussi aux prises avec une crise de l’hébergement des demandeurs d’asile qui passe plus inaperçue.
Cet été, à Paris, des migrants ont été expulsés de trois camps informels, dont celui dans lequel vivait M. Salah. La municipalité a prétexté des risques sanitaires et a affirmé chercher des solutions à long terme, pour les demandeurs d’asile comme pour les migrants économiques.
Comme aux autres, on a proposé à M. Salah d’être hébergé à l’hôtel pendant un mois. « L’hôtel était très loin du centre de Paris et nous n’y recevions pas de dons alimentaires », a-t-il dit. « Alors je suis revenu à Paris et, un jour, j’ai entendu parler de ce lycée. »
M. Salah fait maintenant partie des quelque 700 migrants qui squattent le lycée abandonné de Jean-Quarré, ancien lycée hôtelier du 19e arrondissement. C’est l’un des rares endroits à Paris où les demandeurs d’asile sans domicile peuvent encore rester. Mais d’ici la fin du mois, la plupart d’entre eux devront cependant partir.
« Il est prévu depuis longtemps que ce bâtiment soit transformé en bibliothèque », a expliqué Séverine Guy de la municipalité. « Les travaux vont commencer comme prévu, mais en attendant l’ouverture de la bibliothèque, nous pensons installer 80 à 100 lits pour les réfugiés. »
La municipalité a ouvert huit nouveaux centres d’hébergement au cours de l’été et elle s’est engagée à en ouvrir d’autres l’année prochaine, mais selon Antoine Decourcelle, de la Cimade, une organisation non gouvernementale (ONG) française, les 10 000 places d’hébergement promises par le gouvernement français pour l’ensemble du pays d’ici fin 2016 ne seront pas suffisantes.
« De nombreux endroits où les réfugiés sont envoyés sont surpeuplés ou gérés de manière très stricte », a-t-il dit à IRIN. « Par exemple, dans l’est de Paris, il y a un centre d’hébergement d’urgence pour demandeur d’asile situé dans un centre de rétention. Ils sont libres d’aller et venir, mais vivent quand même derrière des barreaux. »
M. Salah, le demandeur d’asile soudanais, a dit qu’il aurait pu supporter de dormir dans la rue, si ce n’avait été que pour quelques mois, « mais ça fait trop de temps maintenant. »
Cette incertitude prolongée n’est pas inhabituelle. Elle est typique du système français, miné par la bureaucratie.
Avant que les demandeurs d’asile puissent seulement déposer une demande, ils doivent s’enregistrer à une adresse fixe auprès des autorités locales, puis attendre trois semaines pour recevoir un dossier de demande d’asile. Les demandeurs d’asile qui n’ont pas d’adresse doivent souvent payer pour en avoir une.
Une fois qu’ils ont réussi à déposer leur demande, le délai de traitement moyen est de 16 à 19 mois. Pendant ce temps, les demandeurs d’asile ne sont pas autorisés à travailler et n’ont pas accès aux aides sociales comme les allocations et les logements sociaux. Après cette interminable attente, la majorité des demandes d’asile sont refusées. En 2014, la France n’en a accepté que 22 pour cent (la moyenne en Europe était de 45 pour cent).
Pour toutes ces raisons, la plupart des réfugiés évitent la France, surtout les Syriens, qui sont presque sûrs d’obtenir le statut de réfugié en Allemagne ou en Suède beaucoup plus rapidement. Récemment, une soixantaine de familles syriennes campaient près du périphérique parisien. « La plupart de ces réfugiés allaient en Belgique ou en Suède. Certains d’entre eux avaient été laissés en France par leur passeur », a dit Michel Roziere, qui travaille pour l’ONG Revivre.
« Ils n’ont pas envie de venir ici », a-t-il dit. « Pendant les deux ans que prend [le traitement] de leur dossier, les demandeurs d’asile n’ont accès à rien : pas de cours de français, pas d’aide financière et pas le droit de travailler. Tant qu’ils n’ont pas d’adresse en France, ils n’ont pas non plus accès au système de santé. Les réfugiés syriens savent bien tout cela. »
Mais selon M. Decourcelle, l’absence d’aide aux réfugiés syriens en France n’explique pas à elle seule le fait qu’ils préfèrent demander l’asile ailleurs. « Ce qui est important pour les réfugiés, c’est de savoir qu’ils peuvent rejoindre une communauté. Tout compte fait, la communauté syrienne est bien plus grande en Allemagne. La France n’est pas une destination naturelle pour les Syriens qui s’expatrient, alors qu’elle l’est pour les réfugiés d’Afrique de l’Ouest, du Sri Lanka ou du Bangladesh, par exemple. »
Le gouvernement français est en train de mettre au point une nouvelle loi d’asile visant à réduire à neuf mois le délai de traitement des demandes. Des réponses publiques locales commencent également à surgir : cette semaine, Paris s’est engagé sur 18 points pour améliorer l’accueil des demandeurs d’asile, en offrant par exemple des cours de français aux réfugiés et demandeurs d’asile et en versant une subvention aux Parisiens qui les hébergent chez eux.
Parmi les réfugiés syriens vivant en France, certains sont arrivés via un programme officiel de réinstallation. Le président français François Hollande a accepté d’accueillir 30 000 réfugiés syriens avant la fin 2016. Ils recevront le statut de réfugiés immédiatement et un permis de séjour dans les trois mois. Six cents sont déjà arrivés d’Allemagne, mais une centaine d’entre eux ont déjà retraversé la frontière dans l’autre sens. « En les invitant, l’État français a montré qu’il avait les ressources nécessaires pour accueillir les demandeurs d’asile dans de bonnes conditions », a dit M. Decourcelle. « Dans ce cas, pourquoi ne pas offrir [ces mêmes conditions] à ceux qui se trouvent déjà en France et veulent y rester ? »
Photos du bandeau et du diaporama par Marie Magnin