Texte et photos d’Aurélie Marrier d’Unienville, Freetown, Sierra Leone
Après un an et demi de lutte contre l’épidémie d’Ebola la plus meurtrière au monde, la fin du virus va finalement être déclarée en Sierra Leone si aucun nouveau cas n’est signalé d’ici le 7 novembre. C’est une victoire dont se réjouissent la plupart des habitants, mais pour les quelque 1 400 membres des équipes funéraires qui ont risqué leur vie pour aider à mettre fin à l’épidémie, c’est le début de nouvelles difficultés.
Nombre d’entre eux ont été mis au ban de la société à cause de leur travail : certains ont été chassés de chez eux par leur propriétaire et d’autres sont évités par leurs proches, qui ont peur de contracter le virus.
L’Organisation mondiale de la Santé recommande de poursuivre les enterrements « dignes et sécurisés » pendant au moins 42 jours après le dernier cas d’Ebola. Les équipes funéraires continuent donc à suivre des mesures de précaution pour des centaines d’enterrements par semaine, même si aucun cas n’a été signalé depuis un moment.
Les organisations humanitaires donnent non seulement du travail et une prime de risque mensuelle aux membres de ces équipes funéraires, mais elles ont aussi offert à certains un logement temporaire.
Mais si Ebola disparaît, le travail et les avantages de ces employés aussi. Leur avenir est incertain. Les craintes associées à Ebola persistent et ces personnes pourraient avoir du mal à retrouver un emploi.
Voici le témoignage de deux d’entre eux :
Quand l’épidémie s’est déclarée, Tamba Momorie, étudiant de 23 ans, a tout lâché pour se joindre à l’une des équipes d’enterrement digne et sécurisé de la Croix-Rouge. Sa mère l’a chassé de chez eux moins de deux semaines plus tard et il a dit que sa famille n’avait toujours pas accepté qu’il revienne, parce qu’elle désapprouvait son travail.
M. Momorie a dit à IRIN que nombre de ses voisins et amis s’en étaient pris à lui à cause de sa décision.
« Ils m’appelaient le travailleur Ebola, l’homme Ebola, l’homme de la mort… Ils disaient que je jouais avec les cadavres. Quand cette crise d’Ebola sera terminée, je m’inquiète des conditions dans lesquelles [le gouvernement et la Croix-Rouge] nous laisseront. »
Mariatu Kargbo, sage-femme mère de six enfants, a été l’une des premières femmes à se joindre aux équipes funéraires, lorsque l’épidémie a atteint son paroxysme l’année dernière.
Mme Kargbo a dit qu’elle sortait de chez elle avant le lever du jour pour que ses voisins ne la voient pas quand elle allait enterrer des cadavres.
« Ce n’est pas facile. La condamnation sociale est trop lourde », a dit Mme Kargbo à IRIN. « Mes voisins disaient : “tu es une femme, pourquoi as-tu intégré une équipe funéraire ? ” Mêmes mes camarades, mes amies, ont pris leurs distances, parce que je m’occup[ais] des victimes d’Ebola. Elles n’ont pas compris que j’aidais. »
De nombreux membres des équipes funéraires sont toujours hantés par les scènes pénibles de l’époque où l’épidémie était au plus fort.
« Je me souviens juste de la façon dont je voyais les gens aux prises avec la maladie. Parfois, on voyait de gros trucs (des asticots) sortir et manger les corps. Lorsqu’on rentrait chez nous, on avait peur de manger du riz à cause de ce qu’on avait vu », a dit Mme Kargbo à IRIN.
Mme Kargbo bénéficie d’un soutien psychologique auprès de la Croix-Rouge pour l’aider à vivre avec ce traumatisme.
« Dans mon quartier et même dans ma rue, on me surnommait Mamma G, » a-t-elle dit. « Ils disaient que j’étais un Général des cadavres […] dès qu’ils me voyaient, ils se rassemblaient et me criaient “Général Ebola !” »
Assis dans une maison mise à disposition par la Croix-Rouge pour les membres des équipes funéraires rejetés par leur famille et leurs voisins, M. Momorie a dit qu’il espérait avoir un jour une maison dans laquelle retourner.
« J’aimerais aménager avec ma mère si elle m’accepte, mais [pour l’instant] je ne peux toujours pas lui rendre visite », a-t-il dit à IRIN. « Malgré tout, je n’ai aucun regret. Je vois que mes efforts ont payé. J’ai fait du bon travail et je veux continuer. »
Le Programme des Nations Unies pour le développement, en association avec la Fédération internationale de la Croix-Rouge (FICR), a annoncé le lancement prochain d’un programme de réinsertion de 12 mois, destiné au départ à 800 employés ayant travaillé en première ligne dans la lutte contre Ebola, pour leur faciliter le retour à la vie normale.
Mais ce ne sera pas facile.
Jennifer Van Wyk, experte en psychosociologie pour la FICR et directrice du programme d’enterrements dignes et sécurisés, a dit que certains membres des équipes funéraires étaient toujours méprisés par leur entourage.
« Il y a tant de colère et de résistance [de la part de la population], parce que les [membres des équipes d’enterrement] interfèrent avec les rites funéraires traditionnels […] Il y a beaucoup de jugement », a-t-elle dit à IRIN.
Édité par Jennifer Lazuta et Andrew Gully